mercredi 18 septembre 2013

On résiste aux nouvelles pressions

Femme Actuelle
9-15 septembre 2013

Toujours plus, plus vite, tout le temps... Sous la poussée des outils high-tech, le travail semble de plus en plus aliénant. Difficile de garder quelques échappatoires pour s'aérer l'esprit. Avant la surchauffe, lisez plutôt.

par Gaël Le Bellego

La psychanalyste Marie Pezé(1), spécialiste de la souffrance au travail parle d'"hypnose collective". Elle évoque ce monde digital, hyperconnecté, où 247 milliards d'e-mails sont échangés chaque jour dans le monde. Evidemment, les TIC (nouvelles technologies de l'information et de la communication) ont un impact énorme sur notre rapport au travail. Entraînant parfois un management brutal et, bien souvent, de nouvelles pressions professionnelles. La preuve par quatre, et nos réponses pour y faire face.

La surcharge d'informations

LE PROBLEME Selon une étude de l'Apec(2), 54 % du temps des cadres en France est consacré au traitement des e-mails. Entre nos messageries (15 % d'entre nous ont au moins quatre adresses !), les réseaux sociaux, les listes de diffusion et surtout, via les nouveaux joujoux nomades, smartphones & Co, nous sommes submergés d'infos. Engloutis. Répondre à chaque e-sollicitation devient un néotaylorisme. Caroline Sauvajol-Rialland, prof à Sciences-Po dénonce l'"Infobésité" (titre de son livre paru en 2012, Editions Vuibert). II existe même un site pour calculer son taux d'intoxication à l'info (calculermoninfobesite.fr) ! Marie Pezé met en garde : "Le travail s'est intensifié, densifié. On est toujours sur le qui-vive. Le corps et l'esprit en pâtissent. Dès lors, on peut craindre troubles cognitifs, surmenage, voire un burn-out." Alors, comment réagir ?

LA REACTION Pour Marie Pezé, "le plus urgent est d'avoir conscience des risques. Savoir qu'à terme, il y va de notre santé. II faut aussi se "défasciner" face aux TIC, leur faire perdre leur importance magnétique : elles ne sont que des outils Enfin, on doit pouvoir exprimer à son N + I que "trop d infos tue l'info". Qu'il comprenne que ça dégrade notre productivité, que l'on travaille au fil de l'eau. II devrait être sensible à l'argument." Ensuite, il existe des trucs simples pour être moins asphyxié. Le nouveau livre Inondé sous les e-mails, résistez !(3) en propose quelques-uns A l'envoi d'un mail par exemple, ne pas mettre toute l'entreprise en copie, sinon "effet boomerang" et réponses en rafale. II existe aussi des outils antispams (Buzze ou Boxbe) à installer. Enfin, classez par dossiers et degré d'urgence, avec un moment bloqué dans la semaine pour les traiter. Ou pas. II faut s'autoriser à ne pas tout lire, tout traiter. Personne n'est omniscient.

Le workend

LE PROBLEME Vendredi soir, 18h30 on n'a pas fini de boucler un dossier. Pas grave, on l'emporte chez soi. Dimanche soir, 20 h, les enfants dînent... "Schgling !", le bruit d un mail pro de notre boss sur notre Galaxy S3. On va voir, on répond. Le "workend" est un phénomène qui touche tout le monde aujourd'hui : il n'y a plus de séparation entre semaine de labeur et "samedi-dimanche" de repos. 67 % des cadres bossent un peu le week-end (sondage Ifop/Good Technology de 2012), 30 % des gens interrogés affirment ne pas couper totalement du travail lors de leurs congés (étude Stepstone de 2011). Faute à notre "hyperconnectivité". Mais aussi, selon les mots de Denis Pennel, auteur d un bon livre de rentrée, Travailler pour soi (Editions du Seuil), faute à la "déspatialisation du travail" (avec un iPhone ou une tablette, on peut bosser partout) et à notre "mobiquité", un terme né de la combinaison de "mobilité" et d'"ubiquité".

LA REACTION "Ce phénomène favorise le surinvestissement et la posture héroïque, remarque la psychanalyste. Ce n'est pas à celui qui bosse le plus tard, mais à celui qui a le plus sacrifié son week-end au profit de son travail ! Or, il est indispensable de se créer des sas. De s'astreindre à des limites horaires, de choisir des activités "hors réseau", type natation, yoga ou n'importe quel cours où la prof ne tolérera pas une sonnerie de portable. Un diktat doit en remplacer un autre (et le compenser de préférence) ! II faut aussi quitter cette idée piège consistant à croire qu on est tout-puissant si on répond à tout, de partout. Ça donne au contraire à sa hiérarchie l'illusion d une disponibilité permanente. Or, c'est comme pour l'amour, il faut savoir se faire désirer..." Sachez enfin qu'il existe sur l'iPhone la fonction "Ne pas déranger" : une fois activée, seules les notifications (par exemple "perso") qu'on aura choisies nous sont signalées.

Le tout-urgent

LE PROBLEME Tout est devenu "TTU", très, très urgent. Au point que se brouillent nos priorités qu'on ne sait plus dans quel ordre traiter les tâches. On observe une "accélération du temps" selon le sociologue Harmut Rosa. "Une subordination à la seconde près, poursuit Denis Pennel, via un contrôle permanent et en temps réel grâce aux TIC, d'autant plus efficace qu'il est invisible et automatisé." Jamais le "time is money" de Benjamin Franklin n'a autant prévalu. Les cycles de décision sont courts, à la portée d'un clic, "le speed-thinking fait du mal à l'intelligence, rétorque Marie Pezé. On produit aujourd'hui de la cortisone comme l'athlète qui court sur un 100 m, mais sur une distance de marathon !" Alors, si on se mettait au repos ?

LA REACTION "Une surstimulation de la mémoire à court terme nous empêche de concevoir à plus longue échéance, met en garde Marie Pezé. En fait, le vice c'est que le TTU fixe des objectifs inatteignables et heurte de plein fouet le perfectionnisme de la plupart. On veut bien faire et, faute d'y arriver, on culpabilise." "II faut relativiser les urgences, poursuit la psy. Exiger de l'autre une vraie deadline et mettre en face les moyens d'y parvenir. S'il y a malgré tout engorgement (et donc panique), c'est que le profil de poste est peut-être mal taillé. A reconsidérer avec son N+1. Enfin, il est toujours possible de se faire prescrire par un généraliste un bilan neuropsychologique, qui va évaluer - par des tests, des problèmes - votre état cognitif." Résultats en main, votre chef saura sans doute mieux vous écouter...

L'obsession productive

LE PROBLEME II faut faire du chiffre. Quel que soit son métier. Etre rentable pour son entreprise. Pire, et quasi comique, "ces dernières années ont vu émerger des méthodes de management rétrogrades, juge Denis Pennel, avec l'intensification du reporting (l'obligation de remplir des tableaux de bord pour rendre compte des résultats obtenus). Quoi de mieux pour tuer l'initiative individuelle ?" Le philosophe Pascal Chabot va plus loin(4) : "On caresse l'amour-propre des salariés en leur disant qu'ils sont "entrepreneurs d'eux-mêmes", mais à la seule fin d'exiger d'eux plus de flexibilité et de résistance au stress. On joue avec leur narcissisme". A la clé, épuisement, lombalgies et troubles musculo-squelettiques.

LA REACTION Primo, il faut avoir en tête ce chiffre : la France a la 3e productivité horaire au monde derrière les USA et la Norvège. Alors on a de la marge, merci ! Marie Pezé recommande "de s'accorder des temps de répit cognitif. Une microsieste, ou même fermer les yeux durant une montée d'escalator ou d'ascenseur : De simples pauses de 5 minutes/heure permettent aux fibres musculaires de se remettre à zéro". Enfin, le chercheur en philo Matthew Crawford, dont on attend le livre, L'attention, un problème culturel, pour 2014, propose ceci : "On doit engager des actions qui structurent notre attention. Car cette masse de choses à faire est en plus un papillonnement permanent (on passe d'un dossier à l'autre, parfois on les gère ensemble). Les travaux manuels sont un remède, la cuisine par exemple. Préparer un repas soigné demande une grande concentration. Et cela a en outre le mérite de canaliser notre énergie efficacement." Alors tous aux fourneaux ?

1 Auteure d'"Ils ne mouraient pas tous mais tous étaient frappé" (Editions Pearson)
2 En collaboration avec le Groupe de recherche en psychologie sociale (Greps)
3 De Carole Blancot, Vincent Berthelot, Anne De Landsheer (Editions Hachette)
4 Dans "Global burn-out" (PUF)

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