vendredi 21 décembre 2012

Les enjeux contradictoires de l'information dans l'organisation

Tribune Libre e-alsace.net - 4 janvier 2010

Toute activité pour se réaliser utilise et produit de l'information. Est qualifiée d'information des faits, des événements, provenant de l'extérieur et qui sont interprétés par l'individu. L'information est nécessaire à l'homme, à la société et à l'organisation. Elle joue un rôle primordial dans la découverte, l'interprétation et la compréhension de son environnement. Elle permet à l'organisation et à l'homme de se situer dans celui-ci (repérage temporel et spatial), d'analyser et d'anticiper les situations auxquelles il doit faire face. L'information intervient comme un réducteur d'incertitude.

L'information interprétée, structurée et mémorisée devient connaissance. Pour J. M. Clark, « la connaissance est le seul instrument de production qui n'est pas sujet à la dépréciation ». La compétitivité des organisations passe désormais moins par ses structures et sa productivité que par la gestion de son capital immatériel… C'est-à-dire par la capacité de l'organisation à utiliser les facteurs immatériels, comme le savoir partagé, et sa capacité à valoriser le capital de connaissances, les savoirs-faire. L'information constitue est donc la principale richesse des organisations modernes, sous forme de compétences métiers, de savoirs, de savoir-faire, de brevets, de stratégies, de technologies ou autres. Elle est stratégique pour l'organisation à deux titres. Elle permet de prendre des décisions de façon éclairée ; et elle permet des gains de valeur liés à l'augmentation de capital de connaissance, lesquels se traduisent concrètement par des innovations rapides en réponses aux demandes des clients.

La maîtrise de l'information est donc essentielle pour chacun des acteurs de la vie en entreprise. Pourtant les enjeux de son management et celui de ses collaborateurs ne sont pas si facilement superposables. 

Les enjeux communs 

Détenir l'information et l'utiliser au bon moment et à bon escient sont  les principaux enjeux de l'organisation et de ses collaborateurs.

Et pourtant, l'accroissement tant de la quantité d'informations que de sa vitesse rend particulièrement complexe leur sélection et leur utilisation.

Pour P. Aron et C. Petit « l'humanité a produit au cours des 30 dernières années plus d'informations qu'en 2 000 ans d'histoire, et ce volume d'informations double tous les 4 ans. La qualité du filtre est donc essentielle ». Si l'information est omniprésente, elle est encore plus souvent surabondante et inutile. Les émetteurs d'informations comme les utilisateurs sont sous pression.

En effet, l'information n'est pas un en-soi, mais elle dépend de la personne qui en a besoin, et de l'exploitation qu'elle en fera dans le cadre de son travail, en fonction de ses propres capacités d'analyse et d'interprétation.

Avec deux écueils majeurs : la désinformation (présenter une information fausse comme étant vraie) et la surinformation (trop d'informations non pertinentes). En effet, si la diffusion et surtout l'exploitation de fausses informations est le premier danger, évident, pour l'organisation et pour ses acteurs, les risques liés au trop-plein d'informations n'est pas moindre (inadéquation de l'information avec les besoins, pertes de temps…).

Il est donc primordial de reconnaître l'importance de l'intégrité de l'information. La règle d'or est qu'une information ne doit pas être considérée comme fiable en tant que telle. Pour avoir une valeur, l'information doit être authentifiée. S'informer ce n'est pas seulement accéder à une information donnée mais c'est en reconnaître la source, la fiabilité et la finalité pour en apprécier l'utilité. Ce réflexe de recherche de validité doit devenir automatique pour l'organisation comme pour l'acteur, tant dans le recueil et l'analyse de l'information, que dans son traitement et dans son dans l'utilisation.

Les enjeux stratégiques pour l'organisation

1 - Assurer une veille stratégique

Toute organisation, pour subsister, décider de son avenir et prendre des décisions stratégiques ou opérationnelles doit construire une représentation de sa place sur le marché, de ses technologies et surveiller l'environnement juridique, économique et réglementaire pour pouvoir anticiper. Elle doit connaître ses principaux concurrents, leurs produits, leurs clients. Elle doit également assurer une veille stratégique ou « intelligence économique », qui concerne les milieux décisionnels supérieurs de l'entreprise et qui lui permet d'anticiper les grandes décisions de l'entreprise sur le long terme. Les services innovation, marketing, production, communication et RH assurent également une veille de nature plus opérationnelle sur leurs activités.

2 - Organiser l'accès à l'information : le Système d'Informations (SI) 

Le SI constitue la réponse de l'organisation pour résoudre ses problèmes d'information et la doter de dispositifs pour gérer l'information qui circule entre ses membres. Il s'inscrit directement dans la trilogie Information / Décision / Action et est dévolu à l'aide à la décision et à la coordination opérationnelle. Techniquement il désigne un système informatique ou de télécommunication, interconnecté dans le but de l'acquisition, du stockage, de la structuration, de la gestion, du traitement, du contrôle, de la diffusion, de l'échange de données faisant intervenir, des hommes, du matériel et des logiciels. 

Selon Hugues Angot « le SI est un réseau complexe de relations structurées où interviennent hommes, machines et procédures qui a pour but d'engendrer des flux ordonnés d'informations pertinentes provenant de différentes sources et destinées à servir de base aux décisions ». 

3 - Le management des connaissances 

Le management des connaissances (ou « Knowledge Management ») est l'ensemble des méthodes et des techniques permettant de percevoir, d'identifier, d'analyser, d'organiser, de mémoriser et de partager des connaissances entre les membres d'une organisation ou d'une entreprise. Il englobe les savoirs créés par l'entreprise elle-même (exemple : marketing, recherche et développement) ou acquis de l'extérieur (exemple : veille) en vue d'atteindre l'objectif fixé. 

Si le SI s'assure que les informations sont disponibles, le « Knowledge Management » veille à ce qu'elles soient bien traitées pour être distribuées aux bonnes personnes au bon moment. En effet, les organisations commencent à percevoir que la mise à disposition du maximum d'informations ne rend pas celles-ci automatiquement pertinentes ni exploitables pour le bénéfice de l'organisation. Il faut préalablement les identifier, les classer, les mettre en catégories et les dispatcher au gré des services, des projets, des politiques… pour orienter l'exploitation des informations. 

En effet, les acteurs de l'organisation ne doivent pas se limiter à la consommation d'informations brutes. Ils doivent également envisager les usages des informations, ce qui implique l'interprétation, la structuration, la capitalisation et le partage des connaissances. L'enjeu de l'entreprise : les gains de valeur liés à l'augmentation de capital de connaissance, lesquels se traduisent concrètement par des innovations rapides en réponses aux demandes des clients. 

Dans la pratique, il est délicat de déterminer exactement à quel moment les données deviennent informations et à quel moment l'information devient connaissance. Le passage du savoir tacite au savoir explicite ne se fait pas sans difficulté. Il vaut mieux mobiliser les efforts vers la capitalisation de la connaissance et de la valeur ajoutée et progresser le long du continuum Donnée / Information / Connaissance. 

Pour l'organisation, tout le monde doit non seulement avoir accès à toute l'information, mais aussi la partager pour favoriser la mutualisation et l'innovation. Mais c'est à cette étape clé que la situation se complique… 

En effet, la volonté stratégique d'une organisation est de s'approprier et de pérenniser les connaissances en son sein, au-delà des compétences des uns et des autres. La mise en écrits et la mise en collectif de l'information entrent dorénavant dans les attributions d'un management renouvelé. Le management des connaissances permet aux entreprises de s'affranchir des aléas liés aux individus pour intégrer des savoir-faire clefs dans leur patrimoine collectif. Une fois les connaissances intégrées au système d'information de l'entreprise, les personnes ne sont plus détentrices de leurs savoirs, celui-ci est transféré à l'organisation. Ainsi l'activité pourrait être regardée comme un processus qui peut être découpé en tâches et menée séquentiellement, de façon détachée du de  l'individu… et les individus deviendraient les plus interchangeables possible… 

A cet égard, la dimension technique du management des connaissances semble être à maturité. Les nouveaux logiciels (groupware, workflow, etc.), les serveurs communs se développent à grande vitesse. Les outils sont d'ores et déjà à la pointe pour encadrer l'activité d'information de ses acteurs et imposer la mutualisation, la circulation le partage et l'échange des informations. 

Mais qu'en est-il de la dimension humaine ? Limiter l'autonomie informationnelle de l'acteur tout en lui demandant de formaliser ses gestes et réflexions, ses projets et résultats, de les mettre en commun, voire de penser selon des règles édictées en dehors de lui constitue une nouvelle pression et n'est donc pas sans arrière-pensée pour l'organisation… 

Comment réagit-il ? 

Les enjeux spécifiques des acteurs 

Vis-à-vis de l'information, l'acteur en entreprise est tour à tour décideur, concepteur, producteur, gestionnaire et utilisateur. 

L'information, l'acteur en a besoin pour lui-même. En effet, il adopte une conduite raisonnée pour chercher l'information qui l'aide à résoudre les problèmes concrets de son travail, en fonction du contexte organisationnel et des projets de son entreprise. Mais il peut aussi l'utiliser en la mettant (ou non) au service des autres (équipe, hiérarchie…) pour se coordonner avec eux ou pour mutualiser et partager. 

En tout état de cause, l'acteur jouit d'une part d'autonomie dans la façon dont il choisit les moyens mobilisés pour effectuer son travail. 

Tous ces aspects donnent la mesure de cette activité extrêmement personnelle, qui se trouve sans cesse reliée au plan collectif, par l'activation de circuits ou d'outils mis en place pour travailler ensemble. 

Cette gestion des relations à l'information conduit donc à réfléchir à la façon dont sont mis en concordance les intérêts individuels et l'intérêt général. Il s'opère nécessairement une conciliation, sans cesse remise en cause et renégociée, qui s'effectue entre les intérêts individuels et les intérêts collectifs. 

Ainsi, le partage des dossiers personnels sur un serveur commun réactive des questions comme la propriété et la possession… 

Si gérer la production informationnelle des membres d'une entreprise est une forme de reconnaissance des connaissances des individus qui contribuent à former un capital intellectuel, le mode de gestion adopté, qui les sépare de leur composante humaine pour les incorporer dans des dispositifs techniques laisse entrevoir les limites, ou en tout cas les difficultés, d'une nouvelle forme de rationalisation intellectuelle. 

En effet, celle-ci entraîne légitimement une méfiance et une résistance des acteurs impliqués : une fois leurs connaissances intégrées au système d'information de l'entreprise, quelle sera leur valeur ajoutée ? La stratégie de l'organisation se heurte dès lors aux stratégies individuelles de ses acteurs, à leur force d'inertie ou à leur résistance active (détournement…). 

Un bras de fer s'est d'ores et déjà engagé entre les acteurs et les outils. 

Pour conclure... 

L'instrumentalisation de l'activité d'information par l'organisation peut laisser croire que la rationalisation pourrait être parfaite (partage imposé). En réalité, elle est limitée de fait. Tout n'est pas modélisable ! L'acteur dispose d'une a une marge de liberté et de l'autonomie pour choisir ses ressources en fonction de sa personnalité, de ses compétences et de ses objectifs… et pour travailler (ou non) avec autrui. Sa capacité d'étonnement, sa curiosité, son ouverture, sa réflexion son adaptation ne peuvent pas être structurés et pourtant ils composent l'intelligence de l'organisation. Selon Davenport et Prusack, « ce sont des gens (seuls ou en entreprise) qui transforment des données en informations et des informations en connaissances et des connaissances en compétences ». 

L'entourer de systèmes d'informations et d'outils divers en espérant qu'il s'en servira relève de l'utopie. Le management des connaissances peine donc à se concrétiser et ne finit par réussir qu'au prix d'une subordination aux logiques d'action à l'œuvre sur le terrain. Si le besoin de coordination ne préexistait pas, les acteurs freineraient l'innovation et simuleraient l'utilisation des outils pour masquer leur difficulté à partager leur travail avec des interlocuteurs qu'ils ne reconnaissent pas… D'un autre côté, ces mêmes acteurs partagent et échangent à travers les réseaux sociaux qu'ils choisissent (réseaux d'experts). 

La question de l'adéquation des intérêts privés et de l'intérêt collectif, ou bien commun informationnel ne pourra être éludée. Il est impératif de retravailler la notion de communauté en informations. Un accompagnement sur les enjeux des nouvelles formes de travail collectif est nécessaire. 

Pour Robert Escarpit, « c'est à nous de décider si le fil par lequel Shannon fait passer ses bits servira à nous étrangler les uns après les autres ou s'il nous donnera la vie unanime d'une conversation dans laquelle chacun aura son mot à dire ». 

Après l'enchantement du technique, il est temps de revenir à l'humain !

Finalement, les entreprises auxquelles la gestion des connaissances réussira seront celles qui auront compris que gérer des connaissances, c'est avant tout gérer des hommes…

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