lundi 30 septembre 2013

Le mail au boulot, notre meilleur ennemi

La Voix du Nord
19 septembre 2013

Un salarié sur quatre passe plus d'une heure par jour à gérer ses mails. Les cadres sont de plus en plus nombreux à souffrir d'infobésité. Pourtant les entreprises auraient tout à gagner à moins de mails mais mieux de courriels.
par Sophie Leroy

Retour de vacances, ouverture de sa boîte aux lettres électronique : près de 1 000 nouveaux messages. Et un constat : ce nombre ne fait qu'enfler, enfler, enfler.
Temps de digestion, cinq heures à trier, répondre, supprimer. Sans avoir le sentiment d'avoir pu tout traiter comme il le fallait. Au 800e, la concentration est forcément moindre.
Le courriel, censé nous faire gagner du temps, est devenu chronophage. Conséquence directe, les cadres souffrent de plus en plus d'un nouveau mal : l'infobésité, ou "surcharge informationnelle".


En fait, le terme n'est pas nouveau, rétablit Caroline Sauvajol-Rialland, à la tête d'un cabinet de conseil en gestion de l'information en entreprise et auteure d'Infobésité, comprendre et maîtriser la déferlante d'informations. Le terme est apparu dans les années 70. Et si, pour certains chercheurs, "cette infobésité n'existe pas - car depuis l'invention de l'imprimerie, l'homme n'est déjà plus capable d'assimiler toutes les informations qui l'entourent" - pour Caroline Sauvajol-Rialland, nous sommes passés de "l'autre côté de la force" : "Ces 30 dernières années, nous avons produit plus d'informations qu'en 2 000 ans d'histoire. L'information numérique double tous les quatre ans."

Jusqu'à l'overdose

Désormais disponibles, partout, tout le temps, c'est le trop plein de courriels. L'overdose. Une réalité qui n'est pas vécue comme telle dans la sphère privée car nous restons libres de nous y soumettre, ou pas. Nous sommes "addicts consentants".

En revanche, au travail, ce libre choix n'existe pas. "Un cadre est dans l'obligation de répondre à sa centaine de mails quotidiens. S'il dit qu'il ne suit pas, il est mort. Un psychologue basque appelle ces cadres les nouveaux pauvres car pouvoir dire non, je ne réponds pas à ce mail est devenu une richesse. Financièrement déjà, aux États-Unis, si vous voulez une chambre d'hôtel sans connexion, ni écran, c'est 3 000 $. Et professionnellement, seuls les dirigeants peuvent ne pas être disponibles. Les nouvelles technologies de l'information véhiculent une image positive mais ce n'est pas que génial."

Un phénomène accentué, en France, par notre culture, décrit encore Caroline Sauvajol-Rialland. "Aux États-Unis, il y a le temps du travail et le temps de la vie. En France, on valorise ceux qui travaillent tard le soir, le week-end et en vacances. Aux États-Unis, on s'interroge au contraire sur votre performance si vous répondez à un mail à 23 h 30. Enfin, il y a une logique collective : une logique du plus-disant plutôt que du mieux mais moins-disant. Une logique derrière laquelle tout le monde se cale."

Aujourd'hui, les cadres passent ainsi un tiers de leur temps à gérer les informations qu'ils reçoivent (tous médias confondus), dont un quart rien qu'à traiter les mails. Or, ce n'est bon ni pour le salarié ni pour l'entreprise car le courrier électronique devient contre-productif. "Le temps de concentration d'un cadre est de sept minutes tant il est souvent interrompu, poursuit Caroline Sauvajol-Rialland. Avec le mail, on est dans la réaction. Or on a besoin d'être dans le temps long pour réfléchir et prendre la bonne décision, être innovant et créatif. Dans une économie où l'innovation est le fer de lance, c'est inquiétant."

Les entreprises auraient donc tout à gagner à réduire ce temps consacré aux courriels. Problème : elles n'en auraient pas encore conscience – "c'est une activité souterraine" – et les salariés ne sont pas formés à gérer leurs mails. "On met à disposition des outils sans mener de réflexion. Hier, la rupture générationnelle était entre ceux qui avaient Internet et ceux qui ne l'avaient pas. Aujourd'hui, elle existe entre ceux qui savent gérer les nouveaux outils de communication et ceux qui ne le savent pas. Or, une étude du ministère du Travail l'an dernier a montré tout l'inverse : depuis 2005, le budget de formation aux nouvelles technologies de l'information a diminué de 50 %."

Et, pendant ce temps-là, notre boîte mail déborde, déborde, déborde.

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