mercredi 6 mars 2013

Au secours, les e-mails nous envahissent !

La Libre Belgique - 27 octobre 2012

Infobésité. Le mot n'est pas neuf. « Il date même des années 70 et a été utilisé pour la première fois par Alvin Toffler, écrivain et futurologue américain. Ce visionnaire y mentionnait cette pathologie de la surcharge d'informations qu'est l'infobésité », raconte Caroline Sauvajol-Rialland, maître de conférences à Sciences Po à Paris et à l'Université catholique de Louvain où elle fait un doctorat sur cette thématique. Cette pathologie touche de nombreux salariés, qui ne parviennent pas à absorber le nombre de plus en plus important d'e-mails qui arrivent chaque jour dans leur boîte. Auxquels s'ajoutent toutes les autres sources d’information.

 

« Certains disent que cette infobésité est un mythe car, de toute façon, depuis l'invention de l'imprimerie, l'homme n'a pas la capacité d'accumuler toutes les informations mises à sa disposition » , explique Caroline Sauvajol-Rialland, qui constate que la problématique de la surcharge informationnelle est pourtant bien une réalité dans l'entreprise. Selon des chiffres de l'Observatoire sur la responsabilité sociétale des entreprises en France, 56 % des utilisateurs consacrent plus de deux heures par jour à la gestion de leur boîte de messages, 38 % reçoivent plus de 100 e-mails par jour et 65 % déclarent vérifier leur messagerie toutes les heures mais le font en réalité bien plus souvent. « Une étude a révélé que le temps de concentration d'un cadre est de sept minutes d’affilée, tant il est souvent interrompu », note la chercheuse.

Selon une autre enquête française - « mais la problématique est la même en Belgique » -, plus de 80 % estiment que les outils électroniques accroissent les informations à traiter et imposent des temps de réponses toujours plus courts. Le fait d'être sans cesse interrompu dans son travail est le facteur de stress le plus important pour 74 % des travailleurs.

« Les gens utilisent de plus en plus l'e-mail comme une voie de communication directe. Ils s'attendent à ce qu'on y réagisse tout de suite », note Dorothy Oger, formatrice, coach et cofondatrice de Performance Partners, qui donne notamment des formations sur la gestion des e-mails et du temps. « C'est une véritable souffrance pour les travailleurs. Ils n'arrivent pas à suivre ce flot continu d'informations. Cela les angoisse et crée un stress important » , explique Caroline Sauvajol-Rialland.

On pensait que les progrès techniques allaient fluidifier les processus décisionnels. « Or, c'est l'inverse qui s'est passé. De même, assez paradoxalement, ce qui devait nous faire gagner du temps nous en fait perdre, car les gens n'utilisent pas les nouveaux outils comme il le faut. » Quelques exemples : « Les « e-mails de visibilité » sont nombreux. Il s'agit de personnes qui envoient des messages à la terre entière pour dire ce qu'elles réalisent. Idem avec les « e-mails parapluie » envoyés par des gens qui ont besoin de montrer ce qu'ils font pour se protéger. C'est une perte de temps et en plus, c'est très négatif. Un manager qui reçoit sans cesse ce genre de mails d'un de ses collaborateurs doit s'inquiéter. Cela veut dire soit qu’il s'ennuie, soit qu’il s'angoisse ».

Cette surcharge informationnelle fait partie du quotidien des entreprises. « On n'a pas le choix. Mais elle est souterraine, c’est-à-dire qu'elle ne rentre pas dans le temps de travail normal d'un collaborateur alors qu'elle lui prend 30 % de son temps. Elle se superpose à l'activité principale. Si, dans dix ans, on arrive à 50 % du temps, que reste-t-il pour le travail qui doit être fait ? C'est la mort de l'entreprise ! », remarque Caroline Sauvajol-Rialland, qui s'inquiète des conséquences. « Au niveau social, on peut pointer les risques de stress et de cyberdépendance. Il y a aussi le problème du déficit d'attention. On pensait qu'il ne concernait que les enfants, mais c'est faux. Or, il se traite avec une molécule classée dans les amphétamines. Aux Etats-Unis, sa consommation a augmenté de 250 % sur les dernières années ! » Les conséquences sont aussi économiques. « La distraction est très coûteuse pour les entreprises. Quand on est distrait, cela prend du temps pour se reconcentrer. »

La situation ne devrait pas s'améliorer, estime encore la chercheuse. « Le volume d'informations disponibles sur Internet double tous les quatre ans. Nous ne sommes pas prêts de nous en sortir ! »

Que faire, alors ? Les entreprises semblent conscientes du problème. « Mais encore faut-il voir comment elles y répondent , note Caroline Sauvajol-Rialland, qui évoque le cas de la société Atos. La direction a décidé de supprimer le courrier électronique et de le remplacer par les réseaux sociaux et la messagerie instantanée. Mais est-ce vraiment mieux ? On voit bien que les jeunes privilégient ces canaux et utilisent de moins en moins les e-mails. C'est rapide et social, mais le problème est que l'usage que l'on en fait dans le privé ou dans la vie professionnelle n'est pas le même. Les jeunes vont implanter ces outils dans l'entreprise; il y aura encore plus de porosité entre la vie privée et la vie professionnelle. Et cela, sans aucun contrôle ».

Certaines entreprises ont adopté des chartes de savoir-vivre. Il y est précisé, par exemple, qu'il faut privilégier le contact physique avec les collègues plutôt que de leur envoyer un e-mail. « Mais cela ne marche pas vraiment. Car, souvent, le management ne joue pas le jeu. Or, pour que cela fonctionne, il est essentiel que le management montre l'exemple. »

Une solution ? Passer par un règlement intérieur. « Cela a plus de poids qu'une charte de savoir-vivre. Mais le problème reste toujours l'application : qu'en font les managers ? S'ils consultent leurs e-mails en réunion, pourquoi les autres ne peuvent-ils pas le faire ? C'est difficile pour le petit salarié qui n'est pas à égalité. »

Une autre solution : bloquer les e-mails qui arrivent après une certaine heure. Mais la solution la plus intéressante est sans doute de former les collaborateurs. « A gérer les e-mails, mais aussi à mieux les rédiger », explique Anne Vervier, auteur d'un ouvrage intitulé : « Rédaction claire »(1) et organisatrice de formations sur cette thématique (voir ci-dessous). « On voit bien que ceux qui savent correctement utiliser les outils d’information sont moins stressés que les autres, note encore Caroline Sauvajol-Rialland. Ils reprennent la maîtrise de l’information. »

Solange BERGER

1 -  Anne Vervier, 40 bonnes pratiques pour rendre vos écrits professionnels clairs et conviviaux, Edipro.

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