mercredi 20 octobre 2021

De plus en plus de communication... De moins en moins de « commun »

Article publié par Les éclaireurs de la com - 27 octobre 2020

Dans une crise, on a besoin de rassembler, d'unir les forces, de partager un diagnostic autant que les solutions. Cette convergence n'exclut pas la différence ou le point de vue, mais il y a un « commun » qui a minima fédère les énergies. Or, le moins que l’on puisse dire est que nous ne sommes pas actuellement dans une approche commune en rapport avec la gravité des temps. Le constat est vrai qu'il s'agisse de la santé ou du climat. Il y a à cela maintes raisons politiques ou sociologiques, mais je voudrais souligner un paradoxe ayant trait à la communication qui joue un rôle si important dans le contexte.

La difficulté tient en partie au fait que le monde commun qui devrait être le nôtre n'existe pas vraiment dans les médias et dans la communication. Nous voyons peu à peu disparaître les espaces communs dans l'éclatement des discours, des argumentations et des représentations. S'il y a une arène communicationnelle, elle est à ce point fragmentée que les enjeux réels finissent par nous échapper. Les réseaux sociaux, les chaînes d'info en continu sont des exemples connus, mais le phénomène est plus profond.

Il tient à une conception de la communication comme chambre d’écho et non comme espace de rencontre, de dialogue et de confrontation visant à faire bouger les lignes. Chaque média, chaque institution, chaque entreprise est dans « sa » ligne d'eau, construisant « son » monde comme univers séparé. Et le rôle de la com' est à chaque fois d'amplifier les faits, les discours, les images de soi, très peu à vrai dire de chercher les points de jonction, les correspondances avec l'autre. La multiplication des canaux appelant la profusion des contenus, on se retrouve face à des problèmes d’infobésité qui ne sont pas que des problèmes de quantité (1) .

Ce qui doit nous rassembler se perd de vue

Ce qui est en jeu dans la société, mais aussi dans l'entreprise est la capacité à relier, à mettre en rapport, à construire un horizon qui ne soit pas que la somme des intérêts hors de toute approche du bien commun. Il y a à la base une conception unidirectionnelle de la communication qui s'abstrait du commun pour n'être que l'écho ou l'amplification d'un intérêt particulier. Les questions de santé ou de défi climatique viennent percuter aujourd'hui cette matrice communicationnelle qui a perdu de vue ce qui peut ou doit nous rassembler.

La juxtaposition de mondes séparés et leur exploitation médiatique sans frein font le lit des populismes dès lors que le monde commun s'érode et que prospèrent Fake News et post vérité. Ce n'est tout de même pas un hasard si le média favori de Donald Trump est Twitter. Il ne s'agit pas de recréer l'ORTF, mais de développer des lieux et des espaces publics, des espaces autant physiques que médiatiques. Disons-le, même si ce n'est pas très « tendance », il entre ou devrait entrer une dimension de service public dans la communication quand on la rapporte au bien commun. C'est vrai dans les crises, mais aussi de façon plus large. Nourrir la résonance entre nous tous

Le philosophe et sociologue allemand Harmut Rosa développe la notion de « résonance »(2). On a besoin d'établir des « relations de résonance » entre les membres et les institutions de la société, à l'heure où la séparation l'emporte. Il appelle à « donner un coup de jeune à la notion de bien commun ». « La conception la plus prometteuse du bien commun réside dans l'idée d'une société capable de et disposée à faire de l'art d'écouter et de répondre le mode dominant de son fonctionnement politique et de sa relation au monde. »

L'art d’écouter et de répondre… est une dimension proprement politique de la communication qui peut la mettre en rapport avec les enjeux communs, bien au-delà de la fonction d'ampli des intérêts et des mondes séparés.

Les communicants doivent se questionner

Ces questions font débat - et c'est heureux - dans le monde des communicants. Par exemple, à propos du rôle de la publicité dans la transition écologique très bien posé par le récent rapport Libaert-Guibert(3), on voit des présidents d'associations de communication camper sur des positions bien peu créatives et, pour tout dire, défensives(4) quand d’autres professionnels s'interrogent à l'exemple de Gildas Bonnel , président de l’agence Sidièse(5) : « Les communicants peuvent-ils ou doivent-ils revendiquer une intention citoyenne, osons le mot : politique ? Sommes-nous des passe-plats au service des marques et des entreprises, sans position sur l'utile ou le superflu, le nécessaire ou le trop-plein ? »

Ces questions à elles seules indiquent l'enjeu. De la même façon, la crise sanitaire a permis à certains communicants internes de dépasser le rôle attendu de producteurs-diffuseurs de contenus. « Pour inconfortable, difficile, voire dramatique qu'elle soit, cette situation invite les communicants à (re) fabriquer du commun, à chercher davantage de sens et de cohérence ainsi qu'à déployer davantage d'implication émotionnelle dans leur travail »(6), affirme Dominique Crépy , co-président de l’AFCI et directeur de la communication interne et institutionnelle du Groupement Les Mousquetaires.

Rapprocher la communication du souci du commun ne sera pas chose aisée, tant les forces de la séparation sont actives dans les médias comme dans les entreprises. Mais le fait de poser les termes du débat est déjà beaucoup.

Références

1 - Caroline Sauvajol-Rialland, Infobésité, Comprendre et maîtriser la déferlante d’informations, Vuibert, 2013

2 - Harmut Rosa, La société de l’écoute. La réceptivité comme essence du bien commun, La Revue du Mauss n° 53, 2019, La Découverte

3 - Publicité et transition écologique, rapport remis au gouvernement par Thierry Libaert et Géraud Guibert, Juin 2020

4 - Franck Gervais, Mercedes Erra, Laurent Habib, Avant d’interdire, Stratégies, octobre 2020

5 - Gildas Bonnel, Pub aux rapports, Stratégies, Août 2020

6 - Dominique Crépy, Pas tous logés à la même enseigne, Les Cahiers de la communication interne n° 46, octobre 2020

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