vendredi 5 juin 2015

Quand la culture du présentéisme renforce l'infobésité, le "règne du plus disant"

4 juin 2015 - Miroir social
par Audrey Minart

L'infobésité était au cœur d'une conférence de Caroline Sauvajol-Rialland, professeur à Sciences-Po Paris, à l'International Business School (ICD) le 26 mai. Si certaines entreprises et syndicats ne nient pas le problème de la surcharge informationnelle, qui parasite le processus décisionnel et parfois engendre des pathologies psychiques, il semble que le problème ne soit pas toujours pris dans le bon sens.

Les effets délétères de la surcharge informationnelle, et notamment un stress à l'origine d'une perte d'efficacité, ont été démontrés depuis les années... 1960. En 2010, le rapport "Bien-être et efficacité au travail", évoquait quant à lui l'utilisation à mauvais escient des TIC, qui "cannibalise les relations humaines fragilise la frontières entre vie privée et vie professionnelle, dépersonnalise la relation de travail, [...] accélère le rapport au temps de travail". Et si quelques entreprises ou fédérations d'entreprises ont en effet tenté de lutter contre l'infobésité à travers diverses opérations, tel Atos et son "Zéro e-mail" ou Syntec et son incitation à la déconnexion pendant 11 heures d'affilées, ces initiatives semblent cependant s'être essoufflées.

Règne du plus disant

Pour Caroline Sauvajol-Rialland, qui mène une recherche doctorale et conseille des entreprises sur cette question, face à l'infobésité "la réponse doit être collective".

Car en effet, si chacun peut s'efforcer de limiter le nombre d'informations arrivant sur sa boîte email, notamment en la réorganisant, voire s'accorder des plages de quelques heures sans consulter ses messages, difficile de résister seul face au flux incessant d'emails (auxquels on est sommés de répondre), surtout quand cette pratique fait partie de la culture de l'entreprise. "Généralement, il y a soumission de tous au règne du plus disant, autrement dit au rythme de celui qui communique le plus", explique-t-elle, avant de dénoncer par ailleurs l'explosion des opérations de reporting, pas toujours justifiées, qui viennent allègrement gonfler la bulle informationnelle. Ou plutôt communicationnelle. "Les entreprises doivent également sortir de leur ambivalence et mieux organiser les conditions de communication en leur sein, notamment en formant leurs salariés. Parce qu'au delà de la maîtrise de quelques outils techniques qui permettent de limiter le nombre d'informations reçues, bien communiquer suppose des compétences multi-disciplinaires." Un enjeu d'autant plus crucial que la messagerie électronique, dans un pays où règne la culture de l'écrit, participerait à la dégradation des relations de travail. "Les cadres, dans leur immense majorité, sont dans l'interpellation continue, et n'ont plus suffisamment de temps pour exercer leur activité productive. Une solution serait par exemple de rétablir des relations directes entre salariés."

Le temps de travail : une fausse piste

Et si les syndicats, de leur côté, semblent prendre très au sérieux cette question, ils se focaliseraient essentiellement, selon Caroline Sauvajol-Rialland, sur le temps de travail, et donc sur les heures supplémentaires. "C'est légitime, mais pas suffisant. Il faut rappeler que les cadres sont payés au forfait. Si l'on va au bout de cette logique, qu'est-ce qui va les empêcher, pour être payé en heures supplémentaires, d'envoyer des emails le plus tard possible ? Cela risque d'aggraver davantage encore la surcharge informationnelle. Et les entreprises ne peuvent pas payer leurs salariés 24h/24h." Un phénomène renforcé en France selon elle par une forte tendance au "présentéisme".

L'infobésité peut être à l'origine d'une paralysie du processus décisionnel. Et étant donné le nombre d'informations sur l'infobésité générées par la recherche, et aujourd'hui accessibles, ne peut-on pas s'interroger sur la capacité des organisations à les traiter... et à décider ?

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