jeudi 19 mars 2020

Covid 19 : protégez-vous aussi de l'overdose d'informations anxiogènes


Interview de Caroline Sauvajol-Rialland par Laure Dasinières pour Le Figaro
Publiée le 17 mars 2020

Chaines d'infos qui tournent en boucle, alertes et newsletters, réseaux sociaux... La pandémie de Covid 19 a investi tous les recoins de notre sphère d'information et l'intégralité des rubriques, de la santé à la politique, de l'économie au sport en passant par le high-tech ou la culture.

Si la situation est inédite sur le plan sanitaire, elle interroge aussi sur notre rapport à l'information. Sans nul doute, nous sommes arrivés à l'ère de ce Caroline Sauvajol-Rialland, professeur à Sciences Po et fondatrice de So Comment, nomme "l'infobésité. C'est le fait de recevoir plus d'informations qu'on ne peut en traiter, explique celle qui a popularisé le terme en France. C'est un problème cognitif de saturation et de capacité à comprendre et à réemployer les informations que nous recevons". Une situation qui peut avoir de réels dommages sur notre mental et nos comportements. "Certains chercheurs parlent de "brouillard informationnel" ou "d'information stock syndrome" poursuit Caroline Sauvajol-Rialland. "L'infobésité nousne
place dans un état de confusion mentale, ou peut provoquer un choc".

Saturation de la peur

Concernant l'épidémie en cours, "il ne s'agit pas d'un cas manifeste où les médias en font trop" pour Cyrille Franck, directeur de l'ESJ Pro Médias Paris, journaliste, formateur et consultant. Les difficultés viennent plutôt "d'un problème de gestion de la temporalité de l'information et de l'immédiateté". Nous rencontrons une situation de surchauffe dont nous sommes en partie responsables. En effet, nous tendons à développer une addiction à cette actualité en permanence en train de se construire, et en demandons toujours plus de peur de manquer de quelque chose. Or "le caractère répétitif d'une information anxiogène est extrêmement préjudiciable" explique Caroline Sauvajol-Rialland. Une étude menée après les attentats du marathon de Boston montre que des personnes qui n'étaient pas présentes, mais qui avaient visionné les images pendant 10 jours, cinq à sept heures par jour, avaient développé un syndrome de stress post-traumatique à l'instar des victimes".

"Il y a deux types de réactions possibles quand on est exposé à énormément d'informations sur le même sujet, estime Laurence Corroy, maîtresse de conférence en sciences de l'information et de la communication à l'Université de Paris III Sorbonne Nouvelle et spécialiste de l'information aux médias. "D'une part une impression de dangerosité extrêmement forte qui fait que l'on peut mal évaluer les risques, et qui provoque une réelle saturation de la peur qu'on peut aussi ne plus en tenir compte et adopter des comportements déraisonnables. D'une part, l'envie d'être coupé de l'information et de ne plus vouloir savoir. Ces deux comportement sont évidemment des comportements à risque".

"Le plus raisonnable est de se cantonner aux médias de qualité dont on connaît le sérieux"
Caroline Sauvajol-Rialland

Face à l'afflux d'informations, "les gens se mettent en retrait pour ne pas s'exposer à l'actualité en se disant "puisqu'on ne peut rien faire, cela ne sert à rien de regarder" explique Cyrille Frank. Or dans un contexte comme celui de l'épidémie en cours, cette mise à l'écart volontaire est tout aussi dangereuse car elle peut induire une incompréhension de la gravité de la situation, et une ignorance des mesures à adopter individuellement pour se protéger et contribuer à stopper la propagation du virus. Aujourd'hui, compte tenu de la situation et du rôle que nous avons tous à jouer durant cette crise, s'informer est nécessaire. Mais encore faut-il le faire d'une manière qui nous permette de traverser cette période difficile le plus sereinement possible.

Attention aux algorithmes

Laurence Corroy rappelle avant tout que ce type d'événement met en lumière des façons d'être déjà existantes. "Chacun a son propre curseur, affirme t'elle. Le rapport à l'image et à l'information est très individuel, selon que l'on est optimiste ou pessimiste". A chacun donc de se créer un système d'information à sa mesure. Caroline Sauvajol-Rialland recommande toutefois "de se tourner vers des médias qui permettent de prendre du recul et d'éviter l'immédiateté et l'émotionnel".

Pour Laurence Corroy, "le plus raisonnable est de se cantonner aux médias de qualité dont on connait le sérieux. Il conviendrait peut-être aussi d'éviter les phénomènes de rebond sur un article, c'est-à-dire de ne pas cliquer sur les liens et les sous-liens, ce qui peut nourrir l'angoisse ou amener vers des sources moins fiables. Il apparait également sage d'éviter de trop solliciter les algorithmes des moteurs de recherche". In fine, nous aurions tous intérêt à limiter notre temps d'exposition quotidien aux médias, en réserver, chaque jour, un moment circonscrit pour nous renseigner sur la situation et les dispositions à prendre. Puis à tenter de penser à autre chose.









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