lundi 5 octobre 2015

Rapport Mettling : droit et devoir à la déconnexion

Le Monde.fr
25 septembre 2015

Une tribune de Caroline Sauvajol-Rialland...

Bruno Mettling, directeur général adjoint d’Orange, chargé des ressources humaines, préconise dans son rapport [sur les effets sociaux du numérique] remis le mardi 15 septembre à la ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social de "compléter le droit à la déconnexion par un devoir de déconnexion du salarié" et de "professionnaliser les salariés et prioritairement les managers afin d’accélérer l’évolution numérique".

Se déconnecter c’est revendiquer du temps pour soi, du temps personnel pour sa famille ou ses loisirs. La déconnexion induit le fait de se soustraire à son employeur...

Mais comment imaginer créer "un devoir de déconnexion du salarié" quand la double injonction hyper présentéisme et hyperjoignabilité (travail nomade ou à distance) constitue une règle implicite de travail pour les cadres et est fortement ancrée dans leur culture ? "Les cadres sont les premiers arrivés le matin, les derniers à partir le soir, les premiers à répondre à un mail…", nous rappelle Nathalie Loiseau, directrice de l’ENA et ancienne DRH du quai d’Orsay.

Renvoyer les cadres vers leur responsabilité personnelle constitue un aveu d’impuissance tant il est évident que personne ne l’utilisera de façon individuelle de peur de s’isoler et d’être finalement exclu, au profit d’un autre "100 % investi dans ses missions et 100 % disponible". Il est beaucoup plus valorisant de suivre, répondre, s’adapter au changement permanent exigé par les entreprises et érigé en alpha et oméga des nouvelles formes du travail dans un environnement mondialisé.

Se déconnecter seul revient à prendre le risque de se singulariser dans un cadre collectif et fortement normatif. Mais s’ils ne sont pas prêts à revendiquer cette déconnexion pour eux-mêmes, les cadres restent en forte demande de régulation sociale sur le sujet.

Concept obsolète

Faut-il légiférer sur le droit à la déconnexion ? Une nouvelle forme de réglementation serait inopérante et inapplicable. De nombreux cadres travaillent "d’eux-mêmes" à distance - hors instruction ou sollicitation managériale -, quand d’autres s’estiment satisfaits de rentrer plus tôt et de se remettre à travailler le soir.

Comment raisonnablement envisager d’encadrer leurs pratiques ? Et le terme même de déconnexion est dépassé. Se déconnecter est désormais un concept obsolète. Les pratiques de déconnexion observées demeurent majoritairement partielles - et concernent quelques outils - et segmentées, dans certaines situations et/ou sur certains créneaux horaires.

Par ailleurs, la réglementation sociale actuelle protège déjà les salariés, tant sur le plan des horaires de travail - forfait compris pour les cadres - que sur le plan de l’obligation de sécurité de résultat de la santé physique et psychique. Le début de reconnaissance, introduite par la loi du 17 août, du burn-out et du stress comme maladies professionnelles est un nouveau marqueur de cette protection.

Les solutions sont à rechercher ailleurs. Optons pour un changement de paradigme. Les entreprises considèrent à tort que la déconnexion constitue "un avantage exclusif" au profit des salariés. Pourtant il y aurait des gains énormes à réaliser pour l’entreprise en termes de productivité, d’innovation et de qualité de vie au travail en stabilisant leurs usages info-communicationnels !

Pas de modèle

La perte de temps générée par la surcharge informationnelle, la mauvaise gestion de l’outil mail responsable d’une dégradation des relations de travail, alors que la collaboration est principalement créatrice de valeur dans une économie de services, le risque de paralysie du process décisionnel… Les entreprises ont tout intérêt à se saisir de la problématique ! Les solutions sont donc nécessairement collectives et locales.

La loi doit imposer le principe de la négociation collective sur l’utilisation des outils numériques. À charge ensuite pour chaque secteur d’activité d’en définir les modalités pratiques au moyen d’accords collectifs nationaux ou de branche. Enfin, il reviendra aux entreprises de les adapter en fonction de leurs contraintes spécifiques, sous forme d’accord d’entreprise ou de charte.

Mais il n’existe pas de modèle. Chaque entreprise devra construire son propre système de gouvernance info-communicationnel en fonction de sa culture, de ses métiers, de ses marchés et clients et de la structuration de son personnel (âge, sexe, CSP), lesquels constituent autant de critères différenciant.

En 2012, le rapport sur "l’impact des technologies de l’information et de la communication (TIC) sur les conditions de travail" soulignait déjà la nécessité de former les salariés aux outils et usages numériques, tout en rapportant que les salariés restent largement autodidactes dans l’utilisation des TIC, que le travail d’information a toujours été considéré comme un non-travail, sans valeur ajoutée et que les formations aux TIC avaient baissé de plus de 50 % au cours des cinq dernières années… De moins en moins de formations et de plus en plus d’outils disponibles ! "La rupture technologique aujourd’hui n’isole plus les personnes connectées des personnes qui ne le sont pas mais davantage les personnes qui maîtrisent les technologies des autres."

Former prioritairement managers et cadres

La France est en retard. Elle doit se saisir du problème et former prioritairement les managers et les cadres qui sont en première ligne en termes d’impact. Il s’agit de se former en mode individuel et surtout collectif pour que l’attentisme des uns ne nuise pas à l’effort des autres tant la surenchère info-communicationnelle est devenue systématique.

Toutes les facettes de l’information mises en œuvre dans l’usage des Technologies de l'Information et de la Communication doivent être acquises : compétences informationnelles, communicationnelles, informatiques, documentaires, médiatiques… La multidisciplinarité seule est efficace. La recherche d’informations, le partage ou l’échange d’informations n’a rien d’évident ni de naturel. La capacité à choisir le média de communication approprié pour une situation donnée non plus. Elle est devenue un critère de performance pour les cadres.

Se former permet de retrouver un sentiment de maîtrise de son activité de travail, d’améliorer l’efficacité de l’action et, en même temps, améliorer la qualité des échanges et des communications, au grand bénéfice de tous.

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