jeudi 1 octobre 2020

Arctus : Technologies, informations et humains, quelle articulation en entreprise ?

Technologies  ! Informations  ! Humains  ! Quelle articulation en entreprise ? Retour sur la table ronde du Luxembourg Sustainability Forum

Le volume d’informations disponibles double tous les 4 ans. C’est sur ce constat que s'est ouverte la table ronde « Technologies, informations, humains ! Quelle articulation en entreprise ? » de l'événement « Management de la connaissance : l'humain au cœur de l'info » organisée - à distance - par le Luxembourg Sustainability Forum le 15 septembre dernier. Au cœur des discussions suivies par Arctus : Est-il possible de dépasser le problème de l'infobésité ? Le bien-être numérique est-il atteignable en entreprise ? Comment adapter nos systèmes de management pour garantir à chacun la bonne information au bon moment ? Retour sur ces échanges.

Gestion de l’information : comment tendre vers une organisation idéale ?

La donnée est aujourd'hui la matière première des entreprises et ce sont leurs salariés qui la traitent et l'utilisent. D'après Olivier Charbonnier, Directeur Général de Dsides, il est indispensable que les organisations prennent conscience des impacts de notre société cognitive. Celle-ci se caractérise par une accélération et une amplification de l'information au point d'altérer notre attention et d'entraîner des difficultés de discernement. Pour autant, la gestion de l'information n'est ni la responsabilité de l'individu, ni du manager, ni uniquement de l'organisation mais bel et bien de la capacité de ces 3 acteurs à aligner leurs actions.

Pour Caroline Sauvajol-Rialland, experte infobésité et gestion de l'information (So Comment), une meilleure gestion de l'information passe par la définition de règles collectives, à tous les niveaux de l'organisation, vis-à-vis de l'ensemble des parties prenantes. La structuration de ces règles est très dépendante du métier, des publics ou encore de la culture de l'entreprise. Elle est donc propre à chaque organisation, voire à chaque équipe.

Gaëtan de Lavilléon, docteur en neurosciences et CEO de Cog’X, rappelle, par ailleurs, que l'organisation doit prendre conscience des limites du cerveau et faire preuve de flexibilité. Elle a pour responsabilité d'intégrer le fonctionnement du cerveau dans le design des espaces de travail (pour réduire les sollicitations…) et de mettre en place des process qui préservent la charge cognitive des salariés.

Quels points de vigilance pour le manager ?

Grâce aux sciences cognitives, nous savons aujourd'hui que les individus n'ont pas tous les mêmes capacités cognitives. De même, la perception et le traitement de l'information dépendent de nos propres représentations. Par exemple, lorsque nous recevons une demande, nous n'interprétons pas tous de la même manière son degré d'urgence. Par conséquent, pour Gaëtan de Lavilléon, le rôle du manager est de s'assurer d'un partage éclairé de cette perception de l'information en vérifiant que sa perception est identique à celle de ses collaborateurs.

Par ailleurs, le manager doit également savoir s'adapter aux capacités de chacun des membres de l'équipe, qui n'ont, par exemple, pas tous la même vigilance aux mêmes heures de la journée.

Comment ? En créant un cadre pour partager les représentations et échanger avec son équipe sur ces sujets. Il n'y pas de méthode miracle, le tout doit être adapté à l'organisation.

Un sentiment partagé par Olivier Charbonnier qui confirme que les expérimentations menées par les managers permettent de construire avec leurs équipes des solutions adaptées notamment aux contraintes métiers.

En termes de bonnes pratiques managériales, Caroline Sauvajol-Rialland estime que les managers ont une double responsabilité. Ils doivent se montrer exemplaires par rapport aux périodes de connexion / non-connexion et co-construire avec leurs équipes les pratiques informationnelles : choix des outils à privilégier en fonction des usages, délais de réponse… Elle poursuit en disant qu'à l’heure où le traitement des e-mails représente 30 % du temps de travail d'un cadre, la qualité de l'information devrait rentrer dans les critères d'évaluation.

Quand l'information ne peut attendre… ou comment gérer les urgences ?

En favorisant l’accélération de l'information, le digital est porteur de risques pour les organisations :

  • Sur la capacité de concentration des équipes
  • Sur la productivité
  • Sur l’innovation

C'est pourquoi, il est nécessaire de remettre de la temporalité dans les échanges en entreprise. Cette question du temps devient centrale.

Lorsque l'on perçoit une urgence, notre organisme se met en mouvement. Pour autant, cela ne doit pas se faire en permanence. Gaëtan de Lavilléon rappelle ici que du point de vue des sciences cognitives, notre cerveau n’est pas « câblé » pour traiter des urgences toute la journée. Par ailleurs, le cerveau continue à traiter les tâches en dehors du temps de travail. Ces temps de récupération (pendant la nuit, la sieste, les temps de pause…) lui permettent de récupérer et d'avoir de nouvelles idées créatives. Nous avons donc tout à gagner à ralentir, à revoir la gestion du temps, notamment en s'autorisant à prendre des temps de récupération et à déconnecter pendant le temps de travail.

En tant qu'individu, témoigne Caroline Sauvajol-Rialland, nous sommes victimes de l'infobésité mais nous en sommes aussi les premiers acteurs ! Une information idéale ? C’est une information juste - c’est à dire vraie -, utile à la personne à qui elle s'adresse et communiquée au bon moment.

Parmi les bonnes pratiques qu’elle préconise :

  • Laisser un délai de 48 heures pour un e-mail en interne et 24 heures pour l’externe, de sorte que toute demande urgente ne passe pas par e-mail
  • Anticiper les demandes pour éviter les sollicitations de dernières minutes - Immédiateté et qualité ne font pas bon ménage !

Tous égaux face au télétravail ?

D'après les résultats d’une étude CogX menée après le confinement, une grande majorité de salariés ont réussi à s'organiser, à s'auto-réguler et à adapter le rythme de leur travail à leurs propres besoins pendant la période de télétravail massive. Toutefois, l'étude montre qu'un quart des salariés avaient un niveau de ressources cognitives défavorables. Parmi les écueils rencontrés, une difficulté à se déconnecter le soir et le week-end, à prendre des pauses, etc. Les répondants qui plébiscitent aujourd'hui le télétravail sont ceux qui disposent de ressources cognitives plus importantes et ont généralement un bon cadre de travail à domicile. Face à ces inégalités, Gaëtan de Lavilléon rappelle que la question des modes de travail doit faire l'objet d'une réflexion dans les entreprises.

Par ailleurs, Caroline Sauvajol-Rialland estime qu'il est d'abord de notre responsabilité individuelle d'éviter l’envoi d'e-mails à ses collègues, en dehors des heures de travail. Si la flexibilité est appréciée par les cadres, il est pour autant essentiel de ne pas imposer ses propres horaires de travail aux autres.

Les pratiques informationnelles doivent être négociées dans le cadre de l'entreprise et notamment avec le manager. Cela permet d'échanger sur le meilleur système pour communiquer en cas d'urgence, en dehors de la boîte e-mail. Par exemple, par téléphone. Bien que beaucoup de salariés disent « je regarde ma boîte e-mail mais je ne réponds pas aux sollicitations », la charge cognitive commence, elle, dès la consultation des e-mails et continue de nous « travailler » par la suite.

Vers une slow économie ?

Repenser les pratiques communicationnelles ne doit pas aller jusqu'à ralentir le modèle économique d'une entreprise concluent les 3 experts. Beaucoup d'entreprises réfléchissent, par exemple, à la semaine de 4 jours et réorganisent leurs process internes pour que les salariés aient plus de temps libre tout en gardant la même économie.

Olivier Charbonnier évoque l’émergence d'un modèle d'organisation dit « organique », à la frontière entre l'entreprise mécanique et la start-up dont l'enjeu consiste à redonner de la place au vivant et à remettre l'humain au centre de notre monde mécanique et digital.

Il est nécessaire de passer d'une logique de la mesure à celle de la résonance pour retrouver de l'oxygène dans notre rapport au travail et aux autres.

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